Catégorie : Histoires de Saint-Martin

C’était beau à voir

Le sel et le travail du sel font partie intégrante du patrimoine de cette île. Le sel était produit aux Salines d’Orient des années 1840 à la fin des années 1950. C’est là que travaillait Elise Hyman du Quartier d’Orléans. Dans une interview de 2018, elle a décrit le travail du sel alors que cette activité touchait à sa fin à Saint-Martin.

Elise Hyman sur la véranda de sa maison dans le Quartier d’Orléans.

En ce temps-là, à l’époque de l’étang salé, c’était une bonne période. Les gens étaient très travailleurs et ils n’avaient rien, pas d’autre possibilité que de travailler à l’étang salé. Tout le monde faisait son jardin. Et quand arrivait le temps du sel, il fallait y aller. C’était tout ce qu’ils avaient. Tout le monde devait y aller travailler. C’était la seule activité économique.

Ils récoltaient le sel. Ils allaient à l’étang tôt le matin. Tout le monde était à l’étang pour récolter le sel. Récolter, jeter dans un panier… Ils sortaient le sel de l’étang, ils le mettaient dans un panier et vlan, ils le jetaient dans un bateau à fond plat. Et comme ça toute la journée.

Quand ils avaient rempli le bateau, ils le ramenaient au rivage à la rame. Alors quelqu’un sortait le sel du bateau à la pelle et d’autres plus jeunes arrivaient et le ramenaient au bord, au sec. Le sel était ensuite enlevé de là où on l’avait mis au sortir du bateau, puis jeté sur le sol pour que toute l’eau s’écoule et qu’il sèche.

L’après-midi, vers deux heures et demie, trois heures, M. John Gumbs arrivait. Il venait mesurer. Il venait mesurer et c’est lui qui écrivait plein de marques dans le livre. C’étaient les chiffres de la récolte.

Tout le monde se levait, allait et venait. Le sel était mis en sac puis les sacs étaient empilés en tas énormes. De tas aussi hauts qu’une maison. Il fallait monter des marches, monter aux échelles, monter et jeter les sacs, encore et encore. Il fallait monter et jeter, tout le temps. Les tas étaient énormes !

Le bateau venait tous les mois. Au moment où le bateau arrivait pour emporter le sel vers la Guadeloupe, comme le sel était transporté dans de petits sacs, on le mettait en sac, mais pas avant l’arrivée du bateau. C’est quand le bateau arrivait qu’on criait : « Le bateau est là » et les gens, tout le monde, arrivaient pour travailler.

Les gens venaient et mettaient le sel dans les sacs. C’étaient des petits sacs. Je ne connais pas la taille des sacs à l’époque, mais c’était assez grand pour les enfants, parce que c’étaient surtout des enfants qui faisaient ça. Ils posaient le sac sur leur tête et ils y allaient et des hommes près de l’eau prenaient le sac, le portaient jusqu’au bateau. Ils prenaient les sacs aux enfants et les portaient jusqu’au bateau.

Ils portaient les sacs jusqu’à ce que le bateau soit chargé. Ils savaient quelle quantité le bateau pouvait transporter. C’est comme ça que ça se passait. C’est comme ça que ça se passait à l’étang salé.

John Gumbs est mort. Victor Gumbs est mort. Tout le monde est mort comme ça et les gens sont morts et partis et l’étang salé tombait à l’abandon. On ne pouvait pas laisser l’étang salé comme ça. Il fallait s’en occuper.

Tant que la pluie tombait, le sel ne se formait pas. À la saison des pluies, l’eau douce le faisait fondre. Mais quand venait le temps sec, le sel arrivait. C’était magnifique. Là, vous
aviez du beau sel. C’était beau à voir.

Un grand livre enregistre le sel récolté à Baie-Orientale le 29 août 1949.
Un grand livre montre les coûts de production de sel : fil pour sacs de sel, peinture pour bateaux et sacs, et plus.
Les restes des salines sont encore visibles dans les eaux peu profondes de l’étang des Salines d’Orient.

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Vingt-neuf jours

En 1985, le Révérend Marcel Eugène Hodge ouvrait la maison d’hôtes Les Alizés à Grand Case. Voici, selon ses propres termes, comment il a imaginé, construit et ouvert cette maison d’hôtes.

C’était quand je travaillais dans la construction au Galion, chez Bernard, un type super. Il était vraiment super. Il n’avait pas énormément d’argent à l’époque, mais il en avait quand même toujours. Il ne devait jamais un franc à personne. Donc, je le voyais arriver au travail tous les jours. À neuf heures, il était là. À onze heures, il rentrait chez lui parce qu’il devait retourner à Marigot pour prendre son repas avec sa femme et ses enfants.

Alors j’ai dit aux travailleurs : « Regardez-moi ça. Cet homme ne passe que deux heures ici. C’est nous qui gérons le travail. Je m’occupe de l’entretien, on a d’autres gars avec nous, les femmes font tourner la boutique, et lui c’est le directeur. Pourquoi on ne pourrait pas se mettre tous ensemble, acheter un terrain près de la plage et en faire un petit hôtel ? »

Ils ont trouvé que c’était une idée vraiment dingue. Ils disaient : « Hodge, mon vieux, on sait que tu es intelligent, on sait que tu es sage, mais ça c’est la chose la plus dingue qu’on ait jamais entendue de ta part. Et tu vas faire comment ? »

Je n’arrêtais pas d’y penser, oui, ça pouvait se faire. Alors, quand je me suis décidé, j’ai créé la maison d’hôtes ici en 1982, 1983. J’ai commencé à construire ici. J’avais si peu d’argent en poche que pour construire trois chambres, ça m’a pris trois ans.

Mais en 1985, le 25 octobre, on a ouvert avec trois chambres. Personne dans le village n’a trouvé que c’était une bonne idée. Ils m’ont dit : « Pourquoi tu ne les loues pas simplement au mois ? » On pourrait se faire 25 dollars par chambre, donc pour un mois, j’aurais probablement 75 dollars. Mais j’ai dit : « Non, c’est une maison d’hôtes. » Et ils se sont moqués de moi. Certains étaient désolés pour moi.

Le jour où j’ai ouvert, personne n’est venu. J’avais simplement mis un panneau au bord de la route : Maison d’hôtes Les Alizés. Dix jours, personne. Vingt jours, personne. Vingt-cinq jours, personne. Et chaque après-midi, les amis venaient aux nouvelles. Certains compatissaient, d’autres se moquaient de moi : « Salut, prêcheur, et la maison d’hôtes, mon vieux ? Elle est pleine ? Elle n’est pas encore pleine ? » Je disais : « Non, pas encore, personne n’est encore venu. »

Et quand on en est arrivé à 29 jours, un couple est passé par là en Volkswagen. Ils passaient la nuit à Philipsburg et ils partaient sur un voilier à trois mâts quelque part dans les Caraïbes. Ils sont venus parce que, disaient-ils, « C’est une village de pêcheurs et on avait envie de rester ici pour la nuit, on a vu le panneau et on est entrés. »

Et ils ont dit : « Combien pour la nuit ? » Et j’ai répondu : « 25 dollars américains par nuit pour une chambre. » Si vous saviez à quel point j’étais fier. Je me sentais si fort, si important. Après trois ans de construction, je recevais mes premiers 25 dollars.

Après leur départ, on a commencé à recevoir une puis deux personnes. Parfois les trois chambres étaient louées, parfois une, parfois deux. Jusqu’à l’arrivée d’Irma il y a trois ans, douze mois par an, on n’était jamais vide six nuits de suite. Au maximum, on est restés sans client pendant cinq nuits. Mais la sixième nuit, on avait à coup sûr des clients.

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Je viens de la Renaissance

Lors d’un entretien réalisé en 2018, au pied de Sentry Hill, Cynric Griffith a raconté l’histoire de sa première rencontre avec la Reine des Pays-Bas et d’autres histoires sur sa carrière d’artiste et d’enseignant.

Je m’appelle Cynric Griffith. Je suis né sur l’île de Saint-Christophe le 1er janvier 1919. Je suis arrivé à Saint-Martin en 1956 et depuis lors, bien des choses se sont passées.

Je suis portraitiste maintenant, et je peins des paysages. Je viens de la Renaissance, de l’époque de Rembrandt. Je continue à peindre. Plus précisément, je fais des dessins à la plume et à l’encre, et des choses comme ça, vous voyez. Il me semble que chaque sujet sur lequel je travaille fait partie de moi, vous voyez. Je n’ai pas le choix, un jour je peux prendre mon pinceau et ma palette et commencer à travailler à la peinture à l’huile. Un autre jour, j’utilise la plume et l’encre, et la fois suivante l’aquarelle.

Lorsque j’étais à l’hôtel Pasanggrahan, mon patron m’a dit : « La Reine arrive ! » Elle descendait à l’hôtel Little Bay. Il m’a dit : « J’ai besoin de ton aide, il faut que tu la serves et que tu portes une veste blanche, une cravate noire et un pantalon noir. »

M. Wathey [le Commissaire de l’île à l’époque] est venu me voir un jour et m’a dit : « Vous savez, la Reine va venir ici, et voilà ce que vous allez faire : vous allez monter sur la colline et peindre une tableau de l’endroit où la Reine va couper le ruban pour le nouvel aéroport. »

C’est ce que j’ai fait, et quand la Reine est venue, on m’a demandé de lui servir le café. M. Wathey m’a apporté le tableau pour le remettre à la Reine, je crois que c’était quelques heures après lui avoir servi le café. Elle a levé les yeux et m’a dit : « Ne vous ai-je pas déjà vu quelque part ? » J’ai répondu : « Oui, je vous ai servi le café ! » C’est ainsi que ça s’est passé. À partir de ce jour, j’étais toujours invité, quand elle venait, à des réceptions et autres événements.

J’ai reçu un appel de la St. Maarten Academy, la nouvelle école. Ils m’ont dit : « Voulez-vous enseigner ? » J’ai répondu : « Oui. » J’y suis donc allé et j’y ai enseigné pendant neuf ans. Il n’y avait pas de boutique, pas de magasin qui vendait quoi que ce soit [comme fournitures d’art], alors j’ai apporté du matériel. L’école n’avait ni papier ni matériel pour travailler, alors je leur en ai donné à tous. Je les amenais tous ici même, à cet endroit, dans les collines. On montait jusqu’en haut et on regardait autour de nous et on peignait toutes les maisons, tout ce qu’on voyait.

Aujourd’hui, j’ai des surprises de temps en temps. Parfois quand je suis assis dehors sur le porche, j’entends une voix : « Vous êtes M. Griffith ? » Alors je lève les yeux et je dis : « Oui, qui êtes-vous ? » « Vous ne vous souvenez pas ? Vous étiez notre professeur et vous nous emmeniez tous dans les collines pour dessiner. » Vous savez, ça fait plaisir. J’ai accompli quelque chose, j’ai apporté quelque chose. Et ça continue comme ça de jour en jour.

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